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– Lise chérie, voici Vincent…

La suite des paroles de Juliette, ma mère, se perdit dans le solo de batterie de mon groupe de rock préféré. J’avais délibérément monté le son de mon MP3. Je savais par avance ce qu’elle allait dire, et cela faisait belle lurette que ses petits discours ne m’intéressaient plus. Je dévisageai pourtant avec insistance le dénommé Vincent, un peu par défi, beaucoup par instinct de survie.

À côté du modèle réduit délicatement incarné par la blonde et évanescente Juliette, sa grande taille offrait un contraste saisissant. Il souriait à moitié, comme si notre petit face à face le mettait mal à l’aise. Il était brun et visiblement trop radin pour se payer le coiffeur : ses mèches, beaucoup plus longues que ce que la décence autorisait, avaient tendance à retomber devant ses yeux clairs. Cela lui donnait un petit côté « adolescent attardé » et je pensais aussitôt qu’à son âge cela faisait débile. Ce détail mis à part, il n’avait vraiment rien de remarquable. Le scrutant avec la plus pure impolitesse, je ne m’étonnai cependant pas qu’il fut l’heureux élu du moment : il était musclé.

Je réprimai un soupir d’exaspération.

Vincent… Bien que je connaisse désormais son prénom, il resterait pour moi un inconnu.

Il ne le savait pas encore, mais il venait de faire son entrée dans le club très ouvert des TGV.

Des TGV, j’en avais vu passer… presque autant qu’un troupeau de vaches broutant le long de la ligne Paris-Lyon. Il y en avait eu des grands, des petits, des blonds et des bruns… mais toujours musclés. Depuis la fuite du premier, mon père (que ma mère n’avait même pas eu le temps de me présenter), ils s’étaient succédé à un rythme effréné.

D’où leur appellation de Type à Grande Vitesse.

Mal à l’aise sous mon regard insistant, Vincent s’empourpra. « Tiens, un timide, cette fois ! » Tant mieux, c’était les moins pires ! J’en avais soupé de tous ceux qui se croyaient obligés de faire « copain, copain ». Sans compter un ou deux vicieux qui me lorgnaient d’un drôle d’air chaque fois que Juliette s’absentait. Heureusement, la majorité se contentait de m’ignorer royalement, me considérant comme un petit désagrément qui ne prêtait pas à conséquence et dont il fallait bien s’accommoder. Ces TGV-là représentaient ma catégorie préférée : ils m’ignoraient, je les ignorais, et tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

La semaine suivante, par un froid jeudi de janvier, Vincent s’installait dans notre trois pièces avec vue sur le parc. Jusque là, rien que du très prévisible. Dans trois mois maximum, il serait reparti. Il était arrivé avec une simple valise. « Il la joue discrète », j’avais pensé. Pas comme certains qui débarquaient avec armes et bagages comme s’ils emménageaient dans un appartement vide. Il y avait eu celui qui ne jurait que par sa collection de BD, celui qui ne respirait que par son ordinateur et ses gadgets high-tech, celui qui n’avalait que des plats à base d’orties et de tofu et qui avait transformé le salon en herboristerie… Bref, avec le temps, j’avais appris la psychanalyse des bagages. C’est drôle tout ce qu’on peut deviner des hommes d’après quelques cartons et sacs de voyage.

– Bonjour Lise.

Debout sur le seuil, il avait prononcé les mots très vite. Il semblait gêné de se retrouver seul avec moi pour le petit déjeuner. Juliette prenait sa douche et la minuscule cuisine, bleue du sol au plafond et d’un mur à l’autre, me donnait l’impression d’être, dans mon pyjama vermillon, un poisson rouge enfermé dans un bocal. Mortel.

– Te fatigue pas avec la politesse, dans trois mois, tu seras plus là.

Ma chaise racla le sol. Je m’attendais à ce qu’il rentre dans sa coquille en rougissant comme une pivoine, mais il répondit doucement :

– Nul ne connaît l’avenir.

Surprise, j’eus un rire nerveux :

– OK, les paris sont ouverts !

– Ce n’était pas un défi, juste une réalité.

Je ris encore plus fort, mais c’était à mon tour d’être mal à l’aise. Il était « zarbi » ce mec ! C’était qui ? Un philosophe, un penseur ? En tous cas, avec Juliette qui avait pour toute lecture des romans à l’eau de rose et des magazines de mode, ça allait détonner. Je revoyais mes prévisions à la baisse : il ne tiendrait pas un mois !

Il n’avait pas bougé. S’il attendait que je l’invite à s’installer et que je lui serve des croissants chauds et un café fumant, il allait devoir s’armer de patience. Il resta planté là un bon moment. Peut-être espérait-il que sa princesse volerait à son secours, mais on voyait qu’il connaissait mal Juliette : la douche était sa résidence secondaire. Son immobilité finit par me gâcher le goût de mes céréales.

– Si tu cherches à prendre racine, je te conseille le parc, ça marche mieux que sur le carrelage.

– Je réfléchissais, dit-il en souriant.

– Tu te prends pour la lune ? Pourquoi t’irais pas faire un tour dans l’espace dans ce cas-là plutôt que me bouffer mon oxygène ?

Il rit et son rire hérissa mes poils.

– Ce n’était pas censé être drôle, sifflai-je, mais une façon colorée de te faire comprendre que le matin, la cuisine est à moi jusqu’à 7 h 30. Juliette squattant la salle d’eau jusqu’à la même heure, il te reste le salon.

Je m’étonnais moi-même. Je n’avais jamais tenu de tels propos à un TGV auparavant. Mais au fond, je trouvais l’idée géniale.

– Heu, excuse-moi, fit-il, toute trace de rire disparue. Je ne savais pas. Je me demandais juste où pouvaient se trouver les bols.

– Ne compte pas sur moi pour te servir de baby-sitter. Ou alors, il faudra me payer, je prends le smic. Toute heure entamée est due.

Il resta bouche bée. Je m’en réjouis intérieurement. À chacun ses victoires.

C’est sur ces entrefaites que résonna la voix sucrée de Juliette.

– Bonjour mes chéris, alors, vous avez fait plus ample connaissance ?

En peignoir rose et les cheveux enroulés dans une serviette assortie, elle fit son entrée. Un brusque accès de « rosophobie » me saisit. Elle se mit sur la pointe des pieds pour embrasser Vincent, mais s’abstint de m’infliger le même traitement. Je n’en fus pas blessée, bien au contraire. Je ne supportais plus depuis longtemps tous ces débordements d’affection.

J’étais tout autant exaspérée par sa façon de m’englober dans ses « chéris » collectifs lancés à la volée, mais sur ce point-là, j’avais perdu la bataille : elle restait incorrigible.

Je finis mes céréales et abandonnai les lieux, laissant les tourtereaux roucouler en tête à tête. Avec les années, j’étais passée maître dans l’art de la disparition express.

Quelques minutes plus tard, dans ma chambre, alors que j’enfilais mon jean, une pensée saugrenue amena un sourire ironique sur mes lèvres : des tourtereaux dans un bocal… Ça n’avait guère d’avenir. Qu’il le veuille ou non, le « nouveau » n’allait pas tarder à s’en apercevoir.

 

La journée au collège se déroula dans sa monotonie habituelle. Je redoublais ma troisième. La majorité des professeurs, confrontés à mon apathie en classe, avaient d’abord argumenté, puis tempêté, hurlé, menacé, avant de finalement jeter l’éponge. Je dois mettre à leur crédit qu’ils avaient maintes fois tenté de convoquer Juliette pour lui faire part « de la situation scolaire jugée préoccupante » de sa fille mais, plus glissante qu’une anguille, la belle Juliette, usant fort à propos des irrégularités de ses horaires d’infirmière, n’avait malheureusement jamais pu se libérer pour répondre à leurs convocations. Découragés et ayant d’autres chats à fouetter, ils avaient fini par s’occuper de cas moins désespérés que le mien, d’autant plus que, soucieuse de ne pas me faire remarquer, je prenais bien garde à ne pas perturber les cours. Cette situation me convenait parfaitement. J’étais déjà dotée d’une capacité extraordinaire à m’évader lorsque je m’ennuyais. Autant dire qu’en refaisant pour la deuxième année consécutive le même programme, j’atteignais des sommets de liberté cérébrale.

Je n’entrais de nouveau en phase avec mon corps que lorsque la sonnerie de dix-sept heures retentissait. Fourrant en vrac mes affaires dans mon sac de cours et jetant celui de sport sur mon épaule, j’étais toujours la première à franchir la porte. Au pas de course, je parcourais les couloirs, slalomais entre les groupes et rejoignais l’arrêt de bus au moment où le N° 23 s’apprêtait à démarrer. Les portes se refermaient derrière moi avec un chuintement métallique et le chauffeur disait en hochant la tête :

– Ça a été chaud !

C’était toujours chaud. Je ne comprenais pas pourquoi il le répétait chaque fois, mais cela semblait lui procurer un plaisir intense. Cela me confortait dans l’idée qu’il y avait un monde entre les adultes et moi. Leur façon d’accepter le « métro/boulot/dodo » et le rythme monotone et répétitif de leur vie me donnait le vertige. Ce qui était sûr, c’est que MA vie ne serait pas bâtie sur ce modèle. Je m’asseyais côté vitre et je regardais défiler les immeubles et les magasins. Les écouteurs dans les oreilles, je m’étonnais de tous ces gens qui couraient d’une vitrine à l’autre, des paquets déjà plein les mains. J’avais le sentiment qu’ils perdaient leur temps en futilités alors qu’il y avait tant à faire. « Tant à faire » se résumant pour moi à un seul mot de onze lettres.

Le mot « gymnastique ».

 

– Flûte ! Ça serre encore plus que la dernière fois !

Penchée sur son sac de sport, Marie releva la tête pour me jeter un coup d’œil. Je me tortillai dans mon justaucorps, tirant tour à tour sur les bretelles et les élastiques qui me sciaient les fesses.

– Tu as grandi.

Elle avait dit ça sans émotion. Comme elle aurait dit : « Il pleut. »

Pour moi, c’était un drame.

– C’est la deuxième fois en trois mois que je dois changer de taille !

Debout devant le miroir des vestiaires, je scrutais d’un œil morne la silhouette longiligne et dégingandée qui me faisait face. En quelques mois, j’avais poussé à la vitesse d’un bambou sauvage bien arrosé. Mes yeux gris, seule caractéristique physique que je trouvais en moi acceptable (contrairement au reste qui était d’une banalité affligeante), paraissaient perdus au milieu de cette figure qui n’en finissait pas. Comme d’habitude, je me trouvais très moche. Ce n’était pourtant pas là le sujet de mon inquiétude.

– Regarde-moi ça ! Les jambes, les pieds, les bras, le nez ! Ça n’arrête pas de pousser !

– C’est la puberté ma vieille…

Elle avait raison bien sûr. Cette fichue puberté, que j’avais presque oubliée à force qu’elle se fasse attendre, me rattrapait soudain au pire des moments. Comme si la vie n’était pas assez difficile, voilà qu’elle se dressait, obstacle inéluctable, entre moi et le but que je m’étais fixé.

–…et puis ne te plains pas, toi au moins tu as de la poitrine.

Je me retournai pour regarder avec envie le petit corps mince et fluet de mon amie. Elle avait une tête bien faite et un corps parfait. Tandis que je reprenais pour un an encore le chemin du collège, elle était passée au lycée où elle continuait de briller. Notre séparation scolaire avait été douloureuse car n’ayant qu’elle pour amie, je m’étais retrouvée totalement seule. Il est vrai que je n’avais fait aucun effort pour essayer de rebâtir des relations au collège. Pour moi, c’était du temps perdu. Et de toutes façons, je n’avais rien de commun avec des minettes qui passaient leur temps à mater les garçons ou à bosser. Marie, elle, semblait s’être mieux adaptée à cette nouvelle situation. Bien que je reste sa meilleure amie, je la voyais régulièrement descendre de son bus avec un groupe de filles qui riaient bruyamment. Elle me disait que c’était juste des copines, qu’elles ne comprenaient pas vraiment ce qui comptait pour elle, à savoir la gymnastique. Avec moi, c’était différent…

Marie s’étira et, en observant son corps fin et musclé se plier en deux avec souplesse, je dus réprimer un soudain accès de jalousie : la puberté, chez elle, avait su se faire discrète. Peu ou pas de changement entre le fatidique « avant » et « après ». Une route au tracé bien droit sans embuscade à l’horizon. Chaque fois que je l’observais, je me disais que cela aurait dû être elle, la fille de Juliette. Elles avaient toutes les deux la corpulence légère et fragile des elfes. Vraiment, la vie était injuste. La vie… et Juliette aussi ! Pourquoi donc ne m’avait-elle pas transmis le seul héritage que j’aurais désiré obtenir d’elle ? Ces caractéristiques physiques qui auraient fait de moi la reine des gymnases ! C’était aussi de sa faute : c’était bien elle qui avait choisi mon père… Ce devait être un géant… et comble de malchance, la génétique avait décidé que j’en serai son portrait craché…

– De la poitrine ? Si tu savais comme je m’en fiche ! Je donnerais tout pour être comme toi !

– Preuve qu’on n’est jamais content de ce que l’on a. Si j’avais ton allure, je suis sûre que Thibault cesserait de me considérer comme une gamine !

Ah, Thibault ! L’amour secret de Marie depuis que nous avions commencé ensemble la gymnastique. Il la considérait comme une bonne copine, et cela la rendait dingue. Elle était convaincue que la clé de ce manque d’attention était forcément l’absence d’une volumineuse poitrine. Mais moi, les garçons, ça ne m’intéressait pas.

– N’empêche que sur les barres asymétriques, tu es bien contente de ton mètre cinquante !

Marie sourit sans répondre. Elle régnait sans partage sur cet agrès. Quand elle virevoltait dans les airs, tous les Thibault du monde disparaissaient. Ne restait plus que la technique, les prises et cette griserie infinie de défier l’apesanteur au gré des figures.

Pour ces mêmes raisons et à cause d’un goût indéniable pour la précision, j’avais une préférence pour la poutre. C’était l’appareil redouté par excellence. Il fallait une bonne dose de cran pour y remonter, chute après chute. Elle ne pardonnait rien et vous envoyait au tapis pour un demi-centimètre de décalage. Je le prenais comme un défi personnel. Un duel entre elle et moi.

Lorsque nous entrâmes dans le gymnase, François, notre entraîneur, nous lança un regard impatient : l’échauffement avait déjà commencé.

Les muscles tiraient et s’étiraient. Les fronts transpiraient, autant d’effort que de concentration. Comme toujours, je repoussais les limites. Quand mon corps souffrait, j’oubliais ce qui faisait souffrir mon cœur.

L’oubli, pourtant, devenait de plus en plus difficile à atteindre.

Ce jour-là encore, comme souvent ces derniers temps, je sentais que ma volonté avait du mal à s’imposer. Dans l’espace, je contrôlais plus difficilement mes mouvements.

Mais je persévérais.

Je devais exécuter un salto arrière. Figure que je maîtrisais d’habitude à la perfection, mais toujours risquée sur ce bout de bois de 10 cm de largeur. Tatiana et Chloé à la parade, je m’élançai.

À la réception, mon talon droit ne rencontra que du vide. La milliseconde suivante, une douleur fulgurante me déchira le pied : mes orteils venaient de frapper le bord de la poutre. Grâce à la vigilance de mes camarades, j’évitai le pire.

La jambe droite éraflée de la cheville à la cuisse, je me relevai très vite.

– Ça va ? demanda François, alerté par les cris.

– Ouais, ouais, ça va, j’ai juste dérapé.

– Marie, accompagne-la dans les vestiaires. C’est fini pour elle aujourd’hui.

Mon amie, qui avait accouru, m’aida de son mieux. Une fois à l’abri du regard des autres, je lâchai, un sanglot dans la voix :

– Je n’y arrive plus Marie ! Je n’y arrive plus ! Je suis trop grande, trop… volumineuse, trop tout !

– Tu exagères ! Il faut juste que tu t’habitues !

– Non, c’est pire que ça !

– Ce n’est pas le moment de baisser les bras ! Les championnats de France sont dans quelques mois.

Je ne lui répondis pas. J’en étais incapable. Ma gorge s’était brusquement serrée à l’idée de l’enjeu. Les championnats de France senior, c’était l’objectif vers lequel je tendais depuis des années. La porte incontournable que je devais franchir, aussi étroite soit-elle. Je ne pouvais pas ne pas y participer. L’hypothèse elle-même était inconcevable.

 

– Non, maman, je ne veux pas que tu partes !

La petite fille, vêtue d’une chemise de nuit rose à fleurs, s’accrochait avec détermination aux jambes gainées de soie de sa mère. Cette dernière, éblouissante dans une petite robe noire recouverte d’organza de la même teinte, soupira et se pencha vers l’enfant.

– Écoute chérie, tu as cinq ans maintenant, tu es assez grande pour comprendre que maman ne peut pas TOUJOURS rester avec toi ! La voisine va venir te garder jusqu’à mon retour.

– Tu restes pas toujours, tu restes jamais !

– Ce n’est quand même pas moi qui choisis mes horaires ! Ça a été assez compliqué comme ça de faire mes études avec toi sur les bras. Maintenant que je travaille, je ne vais pas faire la difficile. Et puis arrête de me serrer comme ça, tu vas froisser ma robe.

– S’il te plaît, tu m’avais promis hier que si j’allais chez la nounou sans pleurer après l’école tu me lirais une histoire ! insista l’enfant en s’accrochant de plus belle.

Un air perplexe se peignit sur le visage de la mère. Avait-elle vraiment dit ça ? Elle ne s’en souvenait pas. Mais il est vrai que lorsque Lise se mettait une mode « geigneuse », elle était prête à dire n’importe quoi pour la faire taire.

– Ça m’étonnerait que je t’ai promis une chose pareille, tu sais bien que j’ai horreur de lire des trucs de gosse.

– Si tu l’as dit ! Si tu l’as dit !

– Oh ! Lâche-moi à la fin ! s’énerva sa mère en essayant de décrocher les menottes encore potelées de Lise. De toutes façons, si je l’ai dit, c’était hier ! Je ne pouvais pas deviner qu’aujourd’hui un interne allait m’inviter à sortir ! Si tu y tiens tant, je te la lirai demain ton histoire débile !

Mais l’enfant ne l’entendait pas de cette oreille.

– Non, demain il y aura l’hôpital ou un autre monsieur. C’est maintenant que je la veux !

À cet instant, la sonnette de la porte d’entrée retentit. Furieuse de ne pas avoir encore réussi à se libérer de sa fille, Juliette la repoussa avec colère. Son rendez-vous était là et elle n’avait pas encore eu le temps de se parfumer. Déséquilibrée, Lise poussa un cri et se raccrocha à ce qui lui tomba sous la main. Le craquement du tissu qui se déchire les surprit toutes les deux. Tombée sur les fesses, la petite fille regardait avec étonnement le morceau d’organza qu’elle tenait entre les doigts.

– Ma robe ! Tu as bousillé ma robe ! C’est pas croyable ! Tu sais ce qu’elle m’a coûté ?

Folle de rage, Juliette saisit sa fille par les bras et se mit à crier :

– Tu n’as pas le droit de me faire ça, tu entends ? Tu n’as pas le droit de me gâcher la vie ! J’ai galéré comme une malade parce que j’avais choisi de te garder. Mais maintenant, j’ai aussi le droit de vivre et de m’amuser ! J’ai même pas vingt-cinq ans, tu comprends ? Je suis jeune ! Je suis belle ! Et j’ai bien l’intention d’en profiter… Je ne veux pas devenir comme ma mère !

La petite Lise fixait la femme qui lui faisait face. Rouge de colère et la robe déchirée, elle était bien différente de la princesse douce et parfaite qu’elle incarnait habituellement. Et c’était de sa faute. La fillette lâcha le morceau d’organza qui tomba doucement sur le sol. Elle s’en voulait terriblement. Elle ne recommencerait plus. Désormais, elle serait sage.

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