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Extrait de 1,2,3... Triplés!: Bienvenue en 6ème !

Bagages à gogo

 

Journal de Nina

31 août

​

« Salut ! Moi, c’est Nina. Nina Mouche pour tout vous dire. Oui, je sais, Mouche, c’est pas terrible comme nom de famille. Perso, quitte à porter un nom d’insecte, j’aurais nettement préféré « Moustique ». Au moins, c’est un nom qui a du piquant. Enfin bref, c’est comme ça. Je ne l’ai pas choisi, il m’est tombé dessus à ma naissance et maintenant, il faut bien faire avec, hein ? Alors, ce joli petit nom, je le dois bien sûr à mes parents, M. et Mme Mouche. Il y a un peu moins d’un an, ils ont déployé leurs petites ailes pour venir se poser sur l’une des plages de l’île d’Oléron. Maintenant, ils tiennent un salon de thé. Avant, ils étaient chacun « directeurs-quelque-chose » à Paris. Et puis ils en ont eu assez du stress de la grande ville ! Il faut dire aussi qu’ils voulaient élever mon petit frère de deux ans au grand air (lui, c’est la mouche du coche. Relisez vos fables de La Fontaine pour comprendre !). Le grand air, il paraît que c’est bon pour les enfants ! Vous me direz, je devrais peut-être me sentir vexée qu’ils n’y aient pas pensé avant. Pour moi et les deux autres membres du trio, je veux dire. Ça me fait penser ! J’ai oublié de vous apprendre un petit détail qui a quand même son importance : j’ai un autre frère et une sœur très spéciaux. Et pour cause, nous sommes nés le même jour. On est des triplés, quoi, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris ! Ce qui est drôle, c’est que ma sœur, Lucille, et moi, on se ressemble comme deux gouttes d’eau : même longs cheveux bruns, même yeux noisette (pas marron, hein !), même fossette dans le coin de la joue gauche quand on sourit (sauf que chez moi ça se voit plus souvent parce que je suis plus… enfin moins… sérieuse), même taille moyenne (trop moyenne d’ailleurs : pourquoi je ne suis pas plus graaaande ?). En revanche, niveau caractère, c’est le grand écart : Moi, je suis plutôt bavarde… »

J’étais vraiment bien partie et je me sentais inspirée, grandiose ! Mais là, soudain, une voix calme m’a interrompue :

« Pas la peine de le préciser, je pense qu’ils l’auront compris tout seuls ! »

Ça, c’est « tout » ma sœur ! Elle est du style à faire remarquer à Superman qu’il a une tache sur son collant alors qu’il vient de sauver le monde. J’ai abandonné le miroir devant lequel je parlais pour me tourner vers elle :

« Moque-toi ! lui ai-je dit, tu devrais bien t’entraîner toi aussi, timide comme tu l’es ! Quand on arrive dans une nouvelle école, on demande toujours aux élèves de se présenter. Mieux vaut être prêt ! »

Elle a levé les yeux au ciel en pliant avec soin un tee-shirt.

«  Il suffit de dire ton nom et ton prénom. Pas de raconter ta vie ni celle de ta famille depuis le Moyen Âge ! » 

Il faut toujours qu’elle exagère !

« Je ne suis pas remontée au Moyen Âge ! J’ai juste expliqué un peu le contexte pour que les gens comprennent mieux ! »

« Pour comprendre, ils vont comprendre, ça, c’est sûr ! » a répliqué Lucille en lissant les vêtements qu’elle venait de poser en deux piles bien nettes dans sa valise. J’ai bien remarqué qu’il y avait de l’ironie dans sa phrase et j’étais sur le point de lui faire une remarque bien sentie quand je l’ai vue boucler sa valise.

« Tu as déjà fini ? Mais comment tu as fait ? Tu es plus rapide que le tonnerre !

– On dit plus rapide que l’éclair », a aussitôt corrigé Lucille.

J’ai levé les yeux au ciel. Je me trompe toujours dans les expressions ! C’est pas nouveau et sur le moment, j’avais d’autres soucis bien plus importants : je ne savais pas du tout quoi prendre parce que je changeais tout le temps d’avis ! Au point que la situation devenait un peu désespérée. Un immense tas de vêtements jetés en vrac s’amoncelait sur mon lit. Par terre, ma super valise orange à fleurs multicolores – achetée pour l’occasion – débordait déjà de chaussettes dépareillées, de survêtements, d’affaires de toilette qui étaient tombées de la trousse mal fermée et de papiers de bonbons (impossible de résister ! J’avais déjà mangé ceux que papa nous avait achetés pour le voyage).

 

Nota Bene : rappeler à Lucille et à Clément que les bonbons, c’est mauvais pour les dents (comme ça, ils partageront les leurs avec moi J).

 

« C’est pourtant pas compliqué, a repris Lucille, le pensionnat nous a envoyé une liste. Il suffit de la respecter. »

J’ai attrapé la feuille de papier froissée qui traînait à mes pieds et j’ai grogné :

« Tu trouves ? Ils écrivent sept tee-shirts, c’est plutôt vague… Ça ne dit pas s’ils doivent être décolletés en V, ou s’il faut les choisir verts ou roses ! On entre en sixième quand même ! Ce genre de choses a une importance con-si-dé-rable ! »

Au lieu de répondre, Lucille a secoué la tête. Alors j’ai insisté d’une voix plaintive, en montrant une pile de cahiers et de recueils de musique : « Et puis, j’ai plein de partitions de piano ! Je ne sais pas si je dois les emmener toutes !

« Là, tu marques un point, a rétorqué Lucille en tordant la bouche d’une drôle de manière.

J’avais oublié que, moi, je n’ai ni mes chaussons, ni mes tenues de danseuse à emporter. Je gagne de la place ! »

C’est là que je me suis sentie trooooop coupable ! Je suis vraiment nulle parfois !

J’ai vite couru prendre Lucille dans mes bras. Je me suis confondue en excuses, je lui ai dit que j’étais mégastupide et que j’étais désolée qu’elle n’ait pas été prise en section danse ! C’est vrai que c’est pas juste ! Lucille est une danseuse incroyable ! Elle aurait dû réussir l’examen d’entrée mieux que personne ! Si seulement elle n’avait pas été paralysée par le trac à ce point…

Lucille a haussé les épaules et a déclaré d’un air indifférent :

« Ce n’est pas grave. La danse, c’était sympa, mais j’ai tourné la page. Comme tu l’as dit, on entre en sixième. Les choses sérieuses commencent et les cours me prenaient trop de temps. Au moins maintenant, je pourrai me concentrer sur mon travail ».

Je me suis écartée pour la dévisager.

« Tu es sûre que ça va ? ai-je demandé.

– Absolument sûre ! Tu n’as aucune raison de t’en faire. » En répondant, Lucille avait le visage serein et, rassurée, j’ai dit que c’était tant mieux, parce que j’étais convaincue qu’on allait s’amuser comme des petites folles dans cette pension !

Et puis là, Clément est arrivé.

« Alors, les filles, ça y est, vous êtes prêtes ?

–  Oui, ai-je crié.

– Presque », a tempéré Lucille.

Clément a éclaté de rire. Ma trop cool valise orange était dans un désordre indescriptible tandis que celle de Lucille, noire et déjà rangée à côté du lit, n’attendait que des bras musclés pour la descendre au rez-de-chaussée. On n’a pas tardé à pouffer ensemble et j’ai fini par admettre que j’avais  encore deux ou trop choses à boucler. » 

Puis, j’ai entraîné Lucille par le bras vers les escaliers en claironnant : « Je crois que je vais avoir besoin d’un petit coup de main de la part de maman ! »

 

****

 

Dès que ses soeurs eurent disparu, Clément entra dans la pièce et se mit à fouiller dans leurs affaires. Il sembla trouver ce qu’il cherchait et fila dans sa chambre. Il rangea le paquet dérobé dans sa propre valise, déposa ses vêtements dessus et ajouta enfin un coffret de bois plat et rectangulaire. Puis, il referma sa valise bleu marine. Il était prêt !

 

 

 

 

Piano, rugby et tutu

 

Journal de Lucille

31 août

 

Le Jardin des délices est vraiment un charmant salon de thé, typique de la côte atlantique. Son décor maritime rappelle aux clients que l’océan est tout près et, pendant les beaux jours, une terrasse avec vue sur la mer est envahie par les touristes.

Pourtant, ce soir, alors qu’on était le dernier jour d’août, et donc encore en pleine saison d’activité, il n’y avait pas un touriste. Nos parents avaient en effet décidé de fermer le salon. Sur la terrasse, il n’y avait que papa, maman, Mathéo, Clément, Nina et moi. Et c’était fabuleux : le ciel était splendide, avec un coucher de soleil beau comme sur les cartes postales que vend la papeterie voisine. Toute cette beauté, rien que pour nous ! J’ai adoré !

Quel dommage que ce ne soit pas tous les jours comme ça ! Et puis j’ai pensé à demain et j’ai senti mon cœur se serrer : je n’ai pas envie que papa nous emmène, Clément, Nina et moi, jusqu’à Marennes. Je n’ai pas envie de prendre le train pour un long trajet qui ne finira que lorsque nous arriverons à la gare de Poinsy-les-Châteaux. Je n’ai pas envie de grimper dans le bus qui nous conduira enfin à la pension du manoir de Castelroc.

Je sentais les larmes monter quand, heureusement, papa s’est mis à parler.

« Mes chéris, vous allez terriblement me manquer ! Comment je vais faire pour me débrouiller sans vous ? »

Ma parole ! Il voulait vraiment que je me mette à pleurer ! Mais, heureusement, maman a vite rattrapé le coup.

« Tu y arriveras très bien ! » Et elle a ajouté d’un ton gentiment moqueur : « pense que tu n’auras plus à faire cinquante fois le taxi parce que Clément aura oublié son livre de maths à l’école, que Nina voudra passer la nuit chez une copine, ou que Lucille aura son cours de danse qui se termine plus tard. Et puis, fini les biscuits qui disparaissent en un jour alors qu’on pensait en avoir acheté pour la semaine, les chaussettes sales à côté du panier et la salle de bains prise à toute heure !

– N’écoutez pas votre mère, les enfants, a rétorqué papa, elle dit toujours le contraire de ce qu’elle pense ! »

On s’est mis à rire ! Depuis le temps, on est habitués ! À notre naissance, maman s’est transformée en sergent major. Elle a mis au point une organisation quasi militaire afin de pouvoir survivre. Papa, lui, s’est ramolli comme un chamallow sur un feu de joie devant un tel miracle de la nature. S’il n’a guère fallu compter sur lui pour le côté pratique des choses, il a été redoutablement efficace pour soigner, consoler, écouter et jouer à tous les jeux possibles et imaginables. Sûr qu’il va drôlement s’ennuyer sans nous !

En revanche, notre départ ne semble pas trop perturber Mathéo. La bouche déjà couronnée de chocolat, il s’est écrié :

« Moi, j’aime bien quand Clém, Nin et Lu y partent, on a une grooooosse glace. »

Cette fois tout le monde a éclaté de rire. Il est vrai que ce soir, tout le monde était attablé devant des montagnes de crème glacé, sorbets, noisettes et amandes grillées, le tout surmonté de sauce chocolat, caramel ou fraise, suivant les goûts de chacun. Et bien sûr, c’était Chantilly à volonté !

« Tu as raison mon coco, a dit maman, comme ça, tout le monde sera malade demain ! Qu’est-ce que ce sera chouette !

– Tu peux bien dire, a lancé Nina, ta coupe glacée n’a rien à envier aux nôtres !

– Solidarité familiale, a rétorqué maman avec un clin d’œil, je ne vais pas vous laisser tout seuls avec votre crise de foie ! »

Papa l’a grondée en disant qu’il était temps de parler de choses plus gaies et il s’est lancé dans un beau discours. Il a rappelé que le manoir de Castelroc était une excellente pension, que Nina avait beaucoup de chance de pouvoir continuer le piano en CHAM, et Clément tout autant d’intégrer une section sport-étude rugby.

Sauf que ça a un peu dégénéré : « C’est sûr que c’est la classe ! a lancé Clément en jetant un regard revanchard à Nina. Puis il a ajouté : ça cloue le bec à certaines !

Nina a haussé les épaules et s’est défendue :

– J’ai juste dit que ça m’avait étonnée que tu sois pris en en rugby-étude vu que tu te fais toujours plaquer pendant les matchs. Mais bon, tant mieux pour toi ! »

Pour que les choses n’aillent pas plus loin, papa s’est dépêché de me demander :

« Et toi, ma chérie, pas trop de regrets ? Quel dommage que tu ne puisses pas au moins continuer la danse en dehors de la pension !

Maman lui a donné une tape sur la cuisse en le reprenant :

– Inutile de retourner le couteau dans la plaie, tu sais bien qu’il n’y a pas d’école de danse à proximité du manoir. »

Moi, j’ai affiché un air indifférent.

« Il n’y a pas de problème, ai-je répondu, la danse, c’était chouette, mais c’est fini pour moi maintenant. J’ai d’autres objectifs.

Papa m’a lancé un regard admiratif.

–  Tu es toujours si raisonnable ! m’a-t-il félicité. Tu as raison. Cela ne sert à rien de ressasser des regrets. »

Mathéo, lui, n’en pouvait plus d’attendre.

« Manger la glace ! s’est-il écrié.

– Tu as raison, mon chéri ! » a approuvé maman, puis elle a levé sa coupe comme si elle contenait du champagne et a porté un toast :

« Aux triplés et aux joies de la pension ! »

J’ai levé mon verre comme les autres, même si au fond de moi, je me demandais bien ce qu’il pouvait y avoir comme joies, dans cette fichue pension.

 

 

 

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